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Portraits de c.o.

Persévérance au pays de l’adversité : parcours d’une pionnière et semeuse de graines d’espoir en orientation

Portraits de c.o. | 2022-11-14
SQO - semaine québécoise de l'orientation

Kathleen St-Onge, c.o.
Coordonnatrice de la persévérance scolaire et de la réussite éducative
Institut Tshakapesh

Nos expériences sont l’échine de notre histoire et ne cessent de nous forger tout au long de notre vie. Elles viennent ainsi colorer notre vision singulière du monde qui nous entoure et notre manière de nous insérer en ce monde. C’est en puisant dans notre histoire, tant personnelle que culturelle, que nous sommes en mesure de trouver cette source vitale qui nous définit un peu plus chaque jour. C’est sur cette trame que s’inscrit le vécu singulier de Kathleen St-Onge, cette pionnière, femme innue et conseillère d’orientation qui accompagne et soutient avec humilité et authenticité les jeunes de sa communauté depuis plus de 20 ans. En leur permettant de se définir, de se comprendre et d’être fiers de leur culture, elle parvient à « semer quelques graines d’espoir et de rêve » à l’intérieur de ses interventions. Au cours des prochaines lignes, vous êtes invité à un voyage de découverte d’une femme inspirante dont le parcours est empreint de persévérance devant l’adversité et traduit sa manière singulière d’intervenir auprès des jeunes Innus de sa communauté.

Un parcours de vie teinté par la persévérance et l’espoir d’un rêve à bâtir

Très tôt au cours son existence, Kathleen a dû faire le choix déterminant de quitter sa terre natale, Pessamit, pour aller s’établir à 300 km chez sa tante et son oncle au cœur d’une nouvelle terre d’accueil : Sept-Îles. À l’âge de 15 ans, c’était pour elle une première excursion vers un monde aux normes écrites et non écrites diamétralement opposées à celles qu’elle avait connues auparavant. Elle s’est heurtée à de nombreux obstacles, dont des échecs scolaires qui auraient pu réduire à néant ce rêve tant espéré. Face à ces derniers, deux choix s’offraient à elle : ou bien tout abandonner et retourner chez elle avec tous les problèmes psychosociaux présents, ou bien persévérer et poursuivre le projet qu’elle avait entrepris. 

C’est ainsi qu’elle choisit de se battre contre l’adversité et de travailler ardemment dans ses études pour obtenir son diplôme d’études secondaires. Propulsée par cette victoire, elle a décidé de partir étudier en sciences humaines (option juridique) au cégep de Trois-Rivières. Elle souhaitait étudier le droit afin d’aider les jeunes de sa communauté, mais également parce qu’elle caressait le rêve d’intégrer une équipe de curling. En effet, Kathleen avait découvert ce sport à son arrivée à Sept-Îles, ce qui l’avait grandement aidée à s’intégrer à sa nouvelle réalité. Toutefois, ce rêve ne s’est jamais réalisé, car Kathleen n’a pas réussi, malgré tous ses efforts, à intégrer l’équipe de curling. C’est dans cet état de déception et d’amertume qu’elle apprend que sa seule amie et alliée a décidé de quitter Trois-Rivières. Seule et démotivée, elle a pris la décision de retourner vivre à Sept-Îles pour retrouver sa famille et poursuivre ses études collégiales.

Durant les mois qui ont suivi, Kathleen a réussi à terminer ses études et à obtenir son diplôme. C’est alors qu’elle rencontre un conseiller d’orientation afin de planifier son avenir. Cette rencontre lui a permis de confirmer son intérêt envers le domaine juridique et elle a décidé de poursuivre ses études en droit, mais cette fois-ci dans la grande ville de Montréal. Propulsée dans un nouveau monde teinté de compétition, de performance et en opposition à ses valeurs, disait-elle, il lui a pris un an pour décider de mettre fin à ses études et de revenir encore une fois à Sept-Îles. Remplie de doutes, d’incertitudes et sans réel plan d’avenir, Kathleen décide de se trouver un emploi comme intervenante dans une maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. Si cette décision lui convenait momentanément, elle faisait tout de même face à de nombreux obstacles, dont la nécessité de « faire du pouce » pour se rendre à son lieu de travail.

C’est ainsi qu’elle saisit, au bout d’un certain temps et avec la motivation d’avoir une stabilité lui permettant d’élever son fils, l’occasion de travailler comme agente d’employabilité chez Emploi-Québec auprès d’une clientèle prestataire de l’aide sociale. Cette expérience lui a permis de réaliser qu’elle désirait acquérir davantage de connaissances pour être en mesure de mieux accompagner ces personnes. Elle a alors décidé, à l’aube de ses 24 ans, d’étudier en sciences de l’orientation. Décision qui l’a amenée à renoncer à cette stabilité tant recherchée auparavant pour entreprendre des études à Québec, et ce, en pleine crise d’Oka. Toutefois, ce nouveau chapitre de sa vie l’a poussée à taire son identité autochtone par crainte de rejet et de non-considération de la part de ses collègues étudiants. En fait, cette réalité, habitée par les préjugés et la méconnaissance de l’autre, pesait lourdement sur les épaules de Kathleen jusqu’au jour où un professeur, l’ayant entendue s’exprimer dans sa langue natale, lui a permis de se rendre compte qu’elle possédait une richesse que personne d’autre ne possédait, à savoir ses origines culturelles. Dès lors, Kathleen a pris conscience que la différence pouvait représenter une force et non une faiblesse !

Au terme de ses études au baccalauréat en orientation, elle a dû retourner à Sept-Îles pour y travailler quelque temps dans le milieu scolaire pour ensuite saisir une occasion d’aller travailler en employabilité pour le conseil de bande. Elle avait alors obtenu le mandat de recruter des travailleurs autochtones qui allaient participer aux balbutiements des grands projets de barrages hydroélectriques. Elle s’est alors retrouvée plongée dans un univers d’« hommes », où elle devait se battre afin de faire valoir son point de vue. Cependant, si quelques mois se sont écoulés sans grandes embûches, Kathleen a vite compris qu’un diplôme supérieur était nécessaire pour faire valoir ses positions et faire face aux stratégies et aux enjeux politiques à l’œuvre dans son milieu de travail. C’est dans ce contexte qu’elle a décidé de faire une maîtrise en sciences de l’orientation afin d’obtenir le titre de conseillère d’orientation.

Une fois ce diplôme en poche, Kathleen a choisi — encore une fois — de retourner à Sept-Îles pour y faire carrière. C’est ainsi qu’elle a intégré des institutions scolaires innues, où elle agit à titre de « c.o. de brousse » — expression qu’elle affectionne — pour décrire son travail, qui l’amène à se promener de communauté en communauté afin d’accompagner ses élèves à trouver leur voie.

Dis-moi d’où tu viens, je te dirais comment je t’accompagnerai !

On ne peut parler d’intervention en orientation sans aborder la question du contexte particulier dans lequel elle s’insère. Si à priori l’intervention doit reposer sur une sensibilité et une ouverture aux normes sociales singulières, cette particularité prend tout son sens lorsqu’il s’agit des Premières Nations. Dès le début de sa carrière de conseillère d’orientation, Kathleen a été vite confrontée à un enjeu de proximité dans le cadre de ses interventions auprès des élèves. En effet, intervenir auprès de communautés éloignées et rurales revêt une réalité différente de celle des grands centres urbains, où les cercles de connaissance sont plus élargis. Kathleen a dû faire face à d’importants enjeux de confidentialité pour préserver ses interventions et établir un cadre structurant, plus imperméable et respectueux de ses jeunes clients. 

Par ailleurs, tout ne relève pas de la confidentialité et de l’anonymat. Cette « c.o. de brousse » se heurte dans son quotidien à différents enjeux spécifiques à sa clientèle. Il s’agit notamment de l’alliance de travail qui comporte de nombreux défis pour l’établir, la développer et la maintenir. Cette difficulté repose sur le fait qu’il n’est pas coutume de parler de soi et de ses émotions au sein de la culture innue, et ce, de peur de déranger l’autre avec ses problèmes. D’où l’importance d’être sensible à cette réalité et d’intervenir avec ouverture et bienveillance afin de permettre aux élèves de s’accorder le droit de faire l’expérience de s’ouvrir à l’autre et, du même coup, à eux-mêmes. Mais comment Kathleen y parvient-elle ? Elle explique qu’elle s’utilise comme modèle dans toute son humanité et son vécu. Pour elle, il ne faut pas craindre de dévoiler sa vulnérabilité et son « côté humain », voire d’utiliser l’autodérision, afin de servir de modèle et se rapprocher des élèves. Ainsi, il s’agit pour elle de se montrer telle qu’elle est en projetant chez eux le message qu’il est possible d’atteindre ses rêves en restant soi-même et fier de l’être. 

Cependant, la réalité clinique de ses interventions est empreinte de nombreuses problématiques psychosociales vécues par ses jeunes clients et dont le reflet se traduit par des propos tels que : « Je suis juste un Indien ! » Kathleen rapporte d’ailleurs que la grande majorité de son travail consiste à accompagner et à soutenir ses élèves aux prises avec ce type de problématique. Elle précise qu’il faut s’armer de bienveillance et aiguiser son écoute empathique afin de soutenir en toute impartialité la réalité de ces jeunes pas si différente de la sienne. Kathleen insiste également sur l’importance d’utiliser des occasions plus informelles pour interagir auprès des élèves et parvenir à créer et à maintenir un lien de confiance : « Il faut ainsi oser aller vers eux, leur parler et s’intégrer aux différentes activités organisées par l’école afin de montrer un réel intérêt envers eux ! » C’est d’ailleurs ce qui fait la force de Kathleen et ce pourquoi elle est reconnue au sein de son milieu !

Intervenir dans une perspective temporelle singulière : Indian Time !

Intervenir dans un contexte autochtone nécessite d’être sensible à un rapport au temps qui ancre les élèves dans un vivre-ensemble orienté vers l’instant présent et sur l’importance de saisir les occasions qui s’offrent dans leur environnement immédiat. Cet Indian Time, comme le dit Kathleen, amène un certain défi en intervention puisque cette vision est quelque peu en contradiction avec les fondements mêmes des interventions en orientation, qui visent à accompagner les élèves à se projeter dans un avenir souhaité par l’entremise d’un choix professionnel. Au quotidien, cela l’amène à orienter ses interventions autour de la planification et du sens des responsabilités afin de mieux aiguiller ses élèves à créer et à mettre en place leurs projets d’avenir.

Un rôle qui va au-delà du choix…

Le travail de Kathleen en orientation va au-delà d’un accompagnement visant l’exploration de soi afin de faire un choix éclairé d’un programme d’études ou d’une profession. Il met en lumière une volonté de donner espoir à ces jeunes qui ont parfois le sentiment d’être « juste des Indiens ». En effet, Kathleen porte en elle une volonté de donner à ces jeunes une vision riche et positive de la culture innue par la transmission et l’éducation de leur histoire transgénérationnelle afin de leur permettre de se réapproprier leurs racines ancestrales. Son travail vise également à sensibiliser ces élèves à la réalité du système scolaire et culturel québécois afin de les préparer davantage à affronter certains obstacles auxquels ils risquent de faire face tels que la discrimination, l’intimidation et les difficultés scolaires. Kathleen mise ainsi sur un accompagnement qui vise à soutenir le développement et la consolidation des ressources personnelles et culturelles de ces élèves leur permettant de faire un choix et de les préparer aux défis susceptibles de jalonner leur parcours scolaire et professionnel.

Vers une visée éducative de l’orientation…

Le récit de vie singulier de Kathleen nous sensibilise à bien des égards à la réalité autochtone et au rôle du conseiller d’orientation auprès de cette clientèle. Il met également en lumière un rôle qui va au-delà d’un accompagnement visant à faire un choix professionnel et qui passe par une volonté de transmettre ce qui a de plus beau et de plus cher, à savoir une fierté personnelle et culturelle. Cette femme d’exception porte en elle un message d’espoir et de courage permettant d’espérer une réappropriation par la nouvelle génération d’Innus d’une existence culturelle oubliée. D’ailleurs, elle occupe depuis peu un nouveau poste de coordonnatrice de la persévérance scolaire et de la réussite éducative à l’Institut Tshakapesh : son objectif est de redonner une fierté à la nouvelle génération d’Innus en semant quelques graines d’espoir par le truchement de ses interventions en orientation.

Par Jérémie Paquette-Lefebvre
Stagiaire à la maîtrise en sciences de l’orientation (session d'hiver 2022)
Clinique de counseling et d’orientation de l’Université Laval

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