Récit professionnel d’Élyse Joubert, c.o. : les transitions comme moteur d’émancipation
Élyse est titulaire d’un baccalauréat en psychologie et d’une maîtrise
en sciences de l’orientation. Dès ses premiers pas comme jeune étudiante en relation d’aide, elle caresse un désir qui motive ses choix et ses actions : développer une expertise qui lui permettra d’accompagner la clientèle sportive dans ses multiples transitions. Son goût pour l’aventure et l’exploration de notre monde l’amène ensuite à vivre plus d’un an en Australie, avant de rentrer au pays et de lancer sa pratique privée.
Elle œuvre aujourd’hui à titre de travailleuse autonome auprès d’une clientèle adulte, composée entre autres de sportifs et d’athlètes de haut niveau. Elle agit également comme intervenante de première ligne pour un programme d’aide aux employés. Au cours des dernières années, l’intervention psychosociale en contexte de nature et d’aventure s’invite naturellement sur son chemin. Dans ce contexte d’urgence climatique et en parallèle de l’écopsychologie, cette modalité d’intervention prend de plus en plus de place dans le monde de l’intervention, car il devient important, voire primordial, de reconnecter l’humain à la nature et à l’essentiel. Voici le portrait d’une jeune conseillère d’orientation passionnée et visionnaire.
L’orientation : une pratique qui s’intéresse d’abord et avant tout à la croissance humaine
Comme plusieurs collègues de notre profession, Élyse effectue ses études de premier cycle en psychologie. Au sortir de celles-ci, elle se remet en question : elle ressent un fort appel du terrain, du concret. En visualisant le chemin à venir (potentielle maîtrise et doctorat en psychologie), elle constate que la voie préalablement choisie ne répondra finalement pas, de façon optimale, à la personne qu’elle croit alors être et à ce qu’elle désire profondément. La professionnelle de l’intervention en devenir sait tout de même qu’elle est « passionnée par la compréhension du comportement humain et le fait d’écouter les gens et leurs histoires ».
Elle décide donc de consulter un conseiller d’orientation, avec qui elle met en lumière le fait qu’un virage vers le monde de l’orientation pourrait être une transition positive pour elle... et ce fut le cas ! « Ce que j’aime de l’orientation, c’est que c’est vraiment de l’optimisation de potentiel. C’est de “la psychologie positive”, dans le sens où nous sommes le plus souvent dans une logique de ... Ok, qu’est-ce qui ne fonctionne pas? Comment résoudre tel problème? Pour ensuite nous tourner vers quelque chose qui convient davantage... En bref, j’apprécie beaucoup cet élément, qui est selon moi sous-jacent à notre pratique, soit la croissance humaine. »Quand elle observe des enjeux plus profonds, qui nécessitent que sa cliente ou son client consulte en psychothérapie, elle est heureuse de pouvoir la ou le diriger vers une personne professionnelle compétente qui prend le relais pour intervenir à ce niveau.
De jeune athlète à professionnelle de la relation d’aide : un cheminement cohérent
Depuis les balbutiements de sa carrière, Élyse caresse le rêve d’un jour intervenir auprès des athlètes. Elle explique cet intérêt pour cette clientèle entre autres par le fait qu’elle fut elle-même athlète de ski acrobatique plus jeune. Elle continua son périple jusqu’au début de l’âge adulte, avant de s’engager comme entraîneuse auprès des sportifs. Aujourd’hui, elle place l’accompagnement des athlètes en contexte de reconversion professionnelle au centre de sa pratique, par intérêt et passion.
D’après elle, de nombreuses ressemblances existent entre les transitions sportives et les autres types de transitions professionnelles. Toutefois, elle insiste pour souligner que plusieurs singularités appartiennent à cette clientèle. Elle mentionne notamment que « l’athlète s’est souvent forgé une identité forclose : majoritairement associée au rôle d’athlète. Ainsi, je remarque que la notion de deuil identitaire est très présente chez cette clientèle. »
Elle confie l’avoir elle-même vécue, malgré son court parcours comme sportive de haut niveau. « C’est en quelque sorte un passage obligé », illustre-t-elle. Ce deuil accompagne souvent la transition difficile entre un monde ancré dans la compétition et celui de tous les jours. Elle me donne l’exemple de l’horaire d’une personne athlète, souvent surchargé, qui du jour au lendemain doit composer avec un agenda beaucoup plus léger : le sentiment de vide n’est que l’un des nombreux défis qui l’attendent.
En somme, elle fait un bilan positif de sa propre transition, notamment parce qu’elle avait « certains facteurs de protection (ex. : riche entourage) ». Elle croit que son vécu se transpose dans son rôle d’intervenante et lui permet de cibler plus rapidement les enjeux en présence dans la vie de ses clients-athlètes. De plus, son expérience personnelle permet d’élever son niveau de compréhension et d’empathie face à la souffrance souvent muette qui est vécue dans ce contexte de retraite sportive.
L’athlète en transition : un champ de spécialisation possible pour les c.o.
Elle décrit avec éloquence les différents éléments qui s’invitent habituellement dans la transition de la personne athlète. Afin d’imager ce type de transition, elle fait le parallèle avec la clientèle militaire : « Quand elle(clientèle militaire/athlète) sort de cela, c’est habituellement accompagné de gros chamboulements. En fait, tout change ! » Selon elle, si pour une personne militaire le fait de demeurer à l’emploi des Forces canadiennes, dans un autre rôle, est un facteur de protection, le fait de garder un lien avec le sport, comme critère de décision pour la transition, en est tout aussi un pour la personne athlète.
En moyenne, l’athlète terminera sa carrière vers 26 ou 27 ans. Elle devra peut-être retourner aux études avec des personnes plus jeunes ou tenter d’intégrer un marché du travail qu’elle connaît souvent peu. Elle se retrouve dans un nouveau monde où une grande partie des codes utilisés et des besoins exprimés sont différents de ce qu’elle a toujours connu, ce qui complexifie également l’intervention en orientation auprès d’elle.
Elle remarque que les athlètes n’ont pas l’habitude de demander de l’aide et auront parfois de la difficulté à cibler leur besoin individuel. Elle rêve secrètement d’intervenir davantage en prévention, mais elle admet qu’il n’est pas toujours facile d’inclure le concept d’après carrière sportive dans le champ de conscience de l’athlète, quand la culture de performance et la compétition ont toujours été et prennent toute la place.
Dans tous les cas, la conseillère d’orientation en elle est persuadée que la personne athlète, tout comme elle quia transposé ses compétences sportives dans ses études universitaires, a développé des compétences transférables, qui seront fort pertinentes dans un tout autre contexte professionnel. Son travail consiste donc essentiellement à aider ses clients à faire les liens nécessaires pour qu’un tel transfert se matérialise
Maintenant, est-ce que plusieurs c.o. ont de l’intérêt pour l’accompagnement de cette clientèle, selon elle? « Je pense que oui. Je pense notamment à ma mentore, Sophie Brassard, de l’Institut national du sport, qui m’a insufflé sa passion pour ce créneau et qui accompagne d’autres intervenants qui désirent approfondir leur pratique à ce niveau. Je remarque donc un intérêt certain des intervenants de la relation d’aide au sens large, mais également de la population. »
Les c.o. ne sont pas nécessairement des partisans de la linéarité des parcours
Qui n’a pas déjà entendu l’idée que les c.o. prédisent l’avenir vers une profession X ou conseillent un chemin plutôt linéaire vers un seul et unique objectif professionnel ?
Élyse est en quelque sorte l’exemple contraire de ce stéréotype tenace. Elle qui est une grande voyageuse dans l’âme valorise chaque expérience qui permet d’en découvrir plus sur soi, ses besoins, ses désirs, ses champs d’intérêt, etc. En plus d’avoir effectué plusieurs voyages de trois mois ou plus, elle a vécu l’expérience de l’exil pendant plus d’un an en Australie. « C’est là que j’ai pu identifier ce qui m’appartient réellement, notamment dans mon mode de fonctionnement : il y a des choses vers lesquelles j’ai tendance à aller, d’autres choses que j’évite, etc. Je ne pouvais plus mettre inconsciemment la faute sur mon environnement. C’est grâce à mes voyages que j’ai découvert que je suis la seule responsable de mon bonheur. Surtout, ça permet le développement d’un certain pouvoir d’agir.»
Il est certain que cette expérience forge chez elle un intérêt pour les parcours non linéaires et les vécus expérientiels qui en résultent. L’expérience permet non seulement d’intégrer les apprentissages vécus, mais elle favorise également l’introspection et la prise de décision. Cela n’enlève rien aux discussions, aux exercices, aux tests, aux lectures, etc. qui composent habituellement un processus d’orientation, mais rien ne vaut l’expérience concrète, vécue, touchée, sentie, selon la conseillère d’orientation.
Elle fait le parallèle avec les formes d’intervention qui s’appuient sur le vécu expérientiel, comme par exemple l’art-thérapie ou l’intervention par la nature, qui permettent assurément la création d’un terreau fertile pour la transformation humaine.
L’intervention par la nature : une pratique de l’orientation en pleine émergence
Elle croit fermement que l’intervention par la nature et l’aventure est puissante. Le volet nature apporte aux participants un certain état d’apaisement, voire d’émerveillement, propice au ressourcement. Le volet aventure, qui s’enracine dans l’expérience, permet chez les participants un plus grand « ancrage » des nouveaux apprentissages et le développement de la connaissance de soi, sous un angle souvent peu exploité. En soi, il y a des éléments qui sont non seulement vus et connus, mais également vécus. L’intervention par la nature et l’expérience vécue par la clientèle devient certainement l’acolyte de tout processus de réflexion.
« L’approche de l’intervention par la nature et l’aventure se base sur quatre ingrédients actifs, soit la dynamique de groupe, le déséquilibre, le risque et le vécu expérientiel. Ces éléments permettent aux participants de vivre des expériences stimulantes dans un environnement différent de ce qui est connu dans le quotidien et de faire émerger différentes prises de conscience par rapport à eux-mêmes ou par rapport aux autres. Le fait de surmonter des obstacles influence positivement le sentiment de compétences chez les participants. Comme ils sortent de leur zone de confort, ils développent de nouvelles compétences et de nouvelles connaissances qui seront transférables dans les autres sphères de vie. »
Afin de parfaire sa pratique dans ce champ de spécialisation, elle entame une formation sur le sujet : le Microprogramme d’intervention psychosociale en contexte de nature et d’aventure offert par l’Université du Québec à Trois-Rivières. Cette formation lui permettra d’approfondir sa propre connaissance de soi, en plus de lui apporter de nouvelles compétences d’intervention. Plus concrètement, elle acquiert une connaissance plus poussée des différents enjeux éthiques, déontologiques, pratiques, etc. qui incombent à ce type de pratique, en plus de développer des compétences en gestion et en coordination de projet d’accompagnement par la nature.
Elle avait également le désir de travailler avec une clientèle qui n’est pas attirée par des services de counseling, d’orientation ou d’intervention psychosociale, et ce, pour toutes sortes de raisons, comme le fait de se trouver en face d’une personne professionnelle inconnue, de se confier à elle, dans un bureau qui l’est tout autant... Ce qui est vraiment stimulant pour Élyse : « pouvoir sortir de ce qui se fait entre quatre murs et de réellement utiliser les éléments de la nature qui m’entoure afin de faire cheminer la personne cliente ou le groupe que j’accompagne ».
La conseillère d’orientation évoque une gamme d’éléments qui peuvent être mis en lumière chez la personne grâce à l’intervention par la nature : « Dynamique de groupe, leadership, sentiment de confiance, mode de fonctionnement, connaissance de soi, autorégulation des émotions, capacité d’adaptation et de faire face aux changements, etc. Pour donner un exemple : je suis entrain de monter ma tente, quelqu’un vient m’offrir son aide, je refuse... Bien, ça met quelque chose en lumière ! Ce sont parfois de petits constats qui permettent de faire de grands changements. Comme facilitatrice, c’est l’art de jongler avec ses fenêtres possibles d’intervention et de savoir lesquelles utiliser, quand et comment. » Elle souhaite utiliser cette approche pour sortir du cadre habituel de notre champ d’intervention, comme l’intervention de groupe, une compétence des c.o. qui est parfois moins connue du grand public.
Les conseillers d’orientation : une pertinence sociale de premier plan dans le monde du travail d’aujourd’hui
Élyse est passionnée par son secteur de pratique, celui de la pratique privée, au sein duquel elle a la chance d’intervenir auprès d’une clientèle diversifiée, principalement adulte. Elle est fière d’avoir persévéré dans le monde de l’entrepreneuriat, qui a souvent la réputation d’être difficile et pour lequel la persévérance est justement la clé. Elle caresse le rêve de mettre en place des services et des collaborations qui lui permettront d’intervenir davantage auprès de la clientèle sportive, et ce, bien sûr, à l’aide de ’intervention par la nature et l’aventure.
Lorsque je lui demande son souhait pour l’avenir de notre profession, je vois son regard s’enflammer : « J’aimerais que notre rôle de c.o. soit compris par tout un chacun, que nous soyons moins dans la défense de notre profession et davantage dans l’incarnation de nos compétences, et ce, dans des milieux de plus en plus diversifiés. Mon plus grand souhait est que mes collègues se permettent d’oser et d’innover. Cela peut se manifester de bien des manières, par exemple par le fait d’utiliser toutes sortes de modalités d’intervention, afin d’aider une diversité d’humains à donner plus de sens à leur vie. J’espère également que les murs entre les professions seront de moins en moins étanches, afin que toutes les personnes professionnelles de la relation d’aide et du développement de carrière puissent collaborer sainement, au service de la clientèle, de son besoin et de son bien-être. »
Par Maxime Dumais, c.o. et coach professionnel, Création Carrière