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Chroniques

Mon avenir sur un coin de table

Chroniques | 2022-11-07
Samuel Ladouceur, c.o.
Par Samuel Ladouceur, c.o.

J’ai un souvenir lucide de ma première entrevue avec un conseiller d’orientation. J’étais au cégep, je me cherchais énormément. Plutôt renfermé et introverti à ce moment, j’avais peu d’expérience de vie. Le bureau de mon « orienteur » était un débarras au fond du centre d’aide aux étudiants. Le désordre qui régnait dans ma tête se retrouvait en terrain familier. En 20 minutes, j’ai parlé peu, j’ai écouté encore moins. Mon avenir venait de se régler sur un coin de table. On venait une fois de plus de me dire ce que je devrais faire. Je suis sorti en laissant la place à un autre étudiant générique qui attendait pour se faire lire la bonne aventure.

Si mon conseiller d’orientation de l’époque avait pris le temps de me poser une ou deux questions en me voyant comme une personne à part entière, et non un autre étudiant associé à une cote R, il aurait saisi assez rapidement que je ne voulais pas devenir avocat. Qu’une partie de ma famille essayait déjà de m’encourager à devenir avocat. Que je n’avais aucun intérêt à devenir avocat.

Je ne doute pas un seul instant de la bienveillance de tout un chacun à m’aider dans ma recherche. Les meilleures intentions du monde sont toutefois insuffisantes quand on ne sait pas comment s’y prendre.
Depuis que j’ai débuté ma pratique privée, j’essaie de mettre en place les principes que j’ai eu à découvrir par moi-même au fil du temps. J’ai passé plusieurs années à décortiquer ce qui était vraiment important pour moi, découvrir sur qui je pouvais réellement compter, avec quel entourage j’arrivais à me dépasser. J’ai aussi appris à connaitre mes limites, particulièrement les patterns qui, des plus modestes aux plus dérangeants, me plombaient l’aile face à mon avenir.

J’ai compris que, ce que le jeune garçon de 17 ans ne comprenait pas dans ce vieux bureau poussiéreux, c’était qu’il devait regarder vers l’intérieur pour trouver les réponses qu’il cherchait.

Depuis, j’essaie de mettre en place des principes basés sur l’écoute de l’autre. C'est épatant de constater jusqu'à quel point les gens ont un vécu unique qui se laisse exister quand on prend la peine de leur offrir une écoute ouverte, empathique, compréhensive. Le filtre que l’on s’impose à force de vivre dans une société d’apparence s’érode lentement, faisant place à ce qui se trouve réellement à l’intérieur. À l’abri des jugements, dans un espace où toutes les facettes de la personnalité sont acceptables, la personne peut enfin s’exprimer avec sa vulnérabilité, avec ce qui a peu de chance d’être entendu normalement.

Certain.e.s lecteur.rice.s seront peut-être surpris.e.s ou confus.e.s par le processus que je mets de l’avant, d’autres s’y reconnaitront. Ce n’est certainement pas la manière la plus facile de pratiquer notre belle profession. Ça demande d’abandonner la position sécuritaire d’expert qui conduit la séance et qui sait déjà ce qui est bon pour ses client.e.s. Ça demande aussi d’être prêt à tolérer l’inconfort, à se sentir mal outillé ou incompétent par moment. C’est accepter d’entrer dans un monde qu’on ne connait pas et y naviguer même si les règles nous échappent par moment. C’est un exercice conscient de prioriser la propre compréhension de notre client.e avant la nôtre.

À mon sens, cette façon de sortir des sentiers battus fait honneur aux changements que nous mettons en place ensemble depuis l’adoption de la loi 21. Les conseiller.ère.s d’orientation d’aujourd’hui aspirent à se distancer du modèle archaïque de la profession, celui du professionnel qui rencontre son client une fois, lui fait passer un « test » et le relie à une profession illico presto. Je crois sincèrement que nos client.e.s comme nos conseiller.ère.s d’orientation y gagnent au change.

Si ce n’était pas assez flagrant à travers les derniers paragraphes, je me réjouis du thème de la Semaine québécoise de l’orientation de cette année qui touche un sujet essentiel dans tout processus d’orientation et de réorientation de carrière. Construire et découvrir ce qui fait sens en soi, c’est trouver qui l’on est vraiment, à un moment précis dans sa vie. Pour plusieurs personnes qui se sentent piégées et figées face à leurs circonstances, c’est seulement en reconnectant avec cette base solide que les solutions pratiques et concrètes de la recherche et du maintien en emploi deviennent réalisables. C’est avec cette base solide qu’il devient possible de surmonter les émotions incapacitantes.

Cette également de cette façon que nous pouvons contribuer comme conseiller.ère.s d’orientation, tout comme les autres professionnel.le.s du domaine de l’intervention, pour lutter contre la hausse importante de la détérioration de la santé mentale dans notre belle province. J’espère qu’avec suffisamment de temps, nous arriverons collectivement à mieux faire connaitre la qualité de l’expertise des conseiller.ère.s d’orientation pour que nous puissions avoir la reconnaissance et les moyens nécessaires à l’amélioration de la qualité de vie de tous et toutes.

En espérant qu’en 2022, le prochain jeune garçon de 17 ans quitte son conseiller d’orientation avec moins d’idées prémâchées dans la tête et plus de sensibilité envers ce qui bouge à l’intérieur de lui-même.
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